Rencontre avec Maurice Zylberstein, rescapé de la barbarie nazie.

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Dans un tribunal, une des formules consacrée est « La parole est donnée à … ». En cet après-midi du jeudi 12 février 2015, c’est Monsieur Maurice Zilberstein qui donne, à travers sa parole, un témoignage poignant de ce que fut sa déportation au camp de Bergen-Belsen. Répondant à l’invitation de Mme El Ghayouch, professeur d’histoire-géographie, il s’exprime devant les élèves de 1èreS2 du lycée Félix Faure, qui préparent le Concours National de la Résistance et de la Déportation sur le thème « La libération des camps nazis, le retour des déportés et la découverte de l’univers concentrationnaire ».

vant que les élèves n’interrogent M. Zylberstein sur son vécu de déporté, la rencontre débute par la projection du film documentaire intitulé Les enfants-otages de Bergen-Belsen, réalisé par Teri Wehn Damisch en 2013. Parmi les enfants rescapés devenus adultes, Maurice Zylberstein témoigne de ce que fut sa captivité, aux côtés de certains qui ont partagé son expérience comme Victor Perahia, Jacques Saurel, Samuel Pintel, Anna Varancas, Francine Christophe, Léon Placek, Denise Bimbad, Daniel Régent. En dehors de leur religion juive, leur point commun est de tous être des enfants de prisonniers de guerre et, en tant que tels, protégés par la Convention de Genève ; ils échappent ainsi aux persécutions juives mais avec leurs mères, sont souvent inquiétés et finalement, ils seront arrêtés six mois avant la libération de Paris.

C’est ainsi que 167 mères et 77 enfants arriveront par convoi ferroviaire à Bergen-Belsen ; s’ils échappent à l’extermination parce qu’ils sont liés familialement à un prisonnier de guerre, ils n’en deviennent pas moins des otages pouvant être échangés contre des prisonniers allemands et occupent un compartiment particulier du camp ; en outre, ils ne portent ni numéro tatoué sur leur avant-bras ni la chemise rayée des prisonniers et peuvent garder avec eux leurs effets personnels.

Mais ils souffrent du froid et de la faim. A ce sujet, Maurice Zylberstein alors âge dé dix ans dit : « En arrivant avec nos baluchons, il y avait des déportés qui nous réclamaient du pain, du pain, alors on donnait […]. Puis, d’autres nous disaient : gardez, gardez, on n’a pas de quoi manger ici. ». Léon Placek, interné à 11 ans, ajoute : « Le souvenir le plus dur que j’ai c’est la faim ; on se lève avec la faim, on se couche avec. Ma mère, je pense qu’elle s’est sacrifiée et qu’elle m’a donné le petit bout de pain qui lui manquait pour survivre. » 

Le documentaire met également l’accent sur la douleur du froid pendant les séances d’appel, dans la cour, comme en témoigne Victor Perahia : « Il fallait rester tête nue sous la neige, sous la pluie, dans la boue, et il faisait -15 °C, -20 ° C. Quand vous n’avez que vos affaires d’été, celles avec lesquelles nous avions été arrêtés, le froid, c’est quelque chose d’insupportable. » Sans parler de la dureté des Kapo et des « souris grises », ces gardiennes redoutables et imprévisibles.

Puis il y a eu la contamination des réservoirs d’eau ; l’absence d’hygiène a amené les poux de corps et avec eux le typhus et la dysenterie. Les morts se sont multipliés, d’autant plus que début 1945, les rescapés des marches de la mort sont arrivés à Bergen-Belsen. Et le seul four crématoire du camp ne suffisait pas à éliminer tous les corps morts. Denise Bimbad, internée à 8 ans témoigne ainsi : « Je me souviens que nous courions, que nous marchions sur les corps comme s’il s’agissait de troncs d’arbre ; c’était finalement quelque chose qui faisait partie du décor, mais, curieusement, la mort, je ne savais pas ce que c’était. » Et Francine Christophe, internée à 11 ans, ajoute : « On ne peut pas arriver réellement à expliquer ce qu’est un camp. Il y a d’abord l’odeur. Il faut savoir qu’un camp ça pue, l’odeur des corps qu’on brûle, l’odeur de la pourriture […]. Et puis il y a autre chose qui manque sur les photos, c’est le bruit ; tout le monde hurle et tout le temps : les SS de haine, les kapos de rage, les chiens aboient, les déportés crient de souffrance… » 

Finalement, le camp de Bergen-Belsen a été brûlé fin mai 1945 par les Britanniques, « quelques semaines après sa libération, le temps d’installer les rescapés dans des casernes transformées en hôpitaux». Lors de son évacuation, « tout est devenu fou » ; les déportés partent à pied ou en camion pour rejoindre la gare qui est à 5/6 km ; le train est constitué de « wagons de toutes sortes », « hétéroclites », « bricolés » Commence alors « l’odyssée des trains fantômes » qui ne savent pas où aller, pris en tenailles par les alliés à l’Ouest et les Soviétiques à l’Est ; ils sont même mitraillés par les alliés qui ne savent pas ce que contiennent ces trains. Quand ceux-ci s’arrêtent au milieu de nulle part, les cadavres sont jetés et les rescapés mangent les herbes sur le bas côté… jusqu’au moment où le train où se trouve M. Zylberstein et sa mère sera libéré à Tröbitz. Le documentaire prend fin quand M. Christophe, ancien prisonnier de guerre libéré, retrouve sa fille et sa femme à Tröbitz et repart avec eux en France.

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M. Zylberstein prend alors la parole et rapporte ses conditions de retour en France. Il explique, qu’une fois rentré en France, M. Christophe a fait en sorte que le groupe de Français encore présents à Tröbitz soit rapatrié. Il a fait envoyer un convoi de camions et le retour a pris 2/3 jours pour arriver à Strasbourg où leur sont délivrés leurs papiers officiels de rapatriement. Le retour vers Paris (où M. Zylberstein vivait avec sa famille jusqu’à sa déportation) s’est fait dans un train sanitaire qui a voyagé de nuit. Un des souvenirs marquants de M. Zylbersein est le suivant : « A un moment, le train s’est arrêté, pas loin de Strasbourg, et des infirmières avaient des paniers chargés de sandwichs à la sardine à l’huile » ; après de longs mois tiraillé par la faim, ces sandwichs avaient un goût incroyable !
Arrivés à Paris, les rescapés ont été emmenés en bus de la gare à l’Hôtel Lutetia. M. Zylberstein se souvient que lorsqu’il est entré dans le hall, il y avait des infirmiers et des infirmières qui pulvérisaient du Flytox sur les arrivants pour éliminer tout résidu de vermine. Il y avait aussi les familles qui venaient voir si des membres de leur famille déportés étaient rentrés.
Le père de Maurice Zylberstein avait été rapatrié quelques semaines avant sa femme et ses deux garçons (M. Zylberstein a un frère de trois ans son aîné qui, depuis les années 1950, vit aux Etats-Unis) ; il avait récupéré leur appartement, brisant les scellés. M. Zylberstein est très heureux de retrouver son père qu’il n’a pas revu depuis 1940. Toutefois l’état physique et psychique de sa maman est faible et elle est envoyée en « cure de repos ». Maurice Zylberstein et son frère sont aussi envoyés un mois au bord de la mer, dans la Manche, à Réville, dans une grande propriété pour reprendre des forces. En 1945, en France, il est difficile de trouver de la nourriture ; « heureusement, papa avait trouvé un travail auprès des Américains, dans une cantine », témoigne M. Zylberstein.
« A la rentrée 1945, je suis retourné à l’école, mon école. Je retrouve le même instituteur, je rejoins ma classe mais personne dans l’école ne m’a demandé où j’étais passé pendant cette année et demie. Ils savaient tous que j’avais été déporté ». Puis M. Zylberstein entre au collège et le directeur du collège qui le connaissait de l’école lui demande un travail : une rédaction qui raconte une journée au camp. M. Zylberstein a alors insisté sur le moment de la distribution de la soupe, avec une petite tranche de pain pour deux jours.
Et puis la vie a continué ; « je me suis bien intégré, j’ai fait beaucoup de sport ». A une question d’élève lui demandant « le fait d’avoir côtoyé la mort quotidiennement vous a-t-il renforcé ou traumatisé ? », M. Zylberstein répond : « Ma chance, c’est ma jeunesse. Pour moi, ça a été dur là-bas, ensuite la vie a repris. Avec mon jeune âge, tout cela s’est estompé et j’ai repris une vie normale. Bien sûr, il est resté des choses en moi de tout cela. Je ne pense pas en avoir souffert à ce moment-là, j’avais toutes les activités d’un jeune normal : les sorties, le sport, les filles. […] Ils n’ont pas pu complètement m’achever ».
Un autre élève demande : « Et votre maman ? ». « Maman est une femme au foyer mais elle n’a plus son entrain d’avant. Elle avait des périodes d’abattement où on la sentait ailleurs. On la laissait tranquille mais elle s’occupait du foyer normalement. […]. Au camp, sans elles, très peu d’entre nous auraient survécu ; elles se privaient de leur ration, pas complètement, pour nous donner un bout de leur morceau de pain. C’est pour elle, grâce à elles, qu’on est rentré ».
Un autre élève l’interroge : « Y avait-il de l’amusement dans le camp, en tant qu’enfant ? » et M. Zylberstein répond « Non. On était libres. Mme Christophe avait organisé des moments de lecture. Mais il fallait éviter de passer près d’un Kapo, un garde déporté qui a tous les droits sur vous. Il a un bâton dans la main et il déambule et peut frapper comme bon lui semble. Maman, un jour, en rentrant du travail vers sa baraque, a eu un kapo derrière elle ; il lui a donné un coup de bâton derrière la tête, sans raison. Blessée, elle a été ramassée par ses codétenues. ».

Après la guerre, M. Zylberstein n’a pas revu les enfants qui ont partagé sa déportation à Bergen-Belsen (contrairement aux mamans) ; chacun a fait sa vie. Mais l’inauguration du monument à la mémoire des déportés victimes de la barbarie nazie à Bergen-Belsen inauguré le 23 mars 1994 au cimetière du Père-Lachaise à Paris a réuni les survivants et une Amicale des anciens de Bergen-Belsen a été créée.

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« Enfin, depuis l’année 2000, tous les cinq ans, l’administration actuelle de Bergen-Belsen qui est devenu un mémorial, nous invite, nous, les Anciens, pour quelques jours au mois d’avril (date anniversaire de la libération du camp)». M. Zylberstein s’y est rendu en 2000, 2005, 2010 et s’y rendra cette année encore, pour la commémoration des 70 ans de la libération du camp.

Mme L. Ignazi, professeur de Lettres au Lycée Félix Faure de Beauvais

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