Historique du lycée

Interview mur historique du lycée Félix Faure

Interview complète mr lefebre archéologue - Fouille Lycée Félix Faure 2019

———————————————————————————————————————————————————–

Lors de la séance du 29 mars 1889, l’architecte Norbert-Auguste Maillart  est désigné pour « dresser un avant-projet… pour l’établissement d’un lycée de 450 élèves au lieudit le Mont-Capron… ». Né en 1856, issu d’une famille modeste, c’est un picard installé à Paris. Elève à l’école des Beaux-Arts, promotion 1871, ayant pour maître Jules Guadet, Norbert Maillart, six fois logiste, obtint, entre autres, le deuxième grand prix de Rome en 1881. Il présenta ses plans une première fois en avril 1889 ; les plans définitifs furent signés le 20 juin 1891. Malgré les modifications demandées par la commission des Collèges et des Lycées, malgré le rejet de la somme nécessaire au démarrage des travaux par la Chambre des députés, le 27 juin 1893, le décret transformant le collège de Beauvais en Lycée National fut signé par le Président Carnot et le ministre de l’Instruction et des Beaux-Arts, Raymond Poincaré. En 1894, après avoir étudié l’implantation sur le site du Franc-marché, la municipalité prit la décision de construire le lycée au Mont-Capron. Le financement particulièrement lourd de ce « palais scolaire », comme l’appelaient ses détracteurs, fut au centre de la campagne électorale municipale de 1896. Le 3 mai 1896, les élections portèrent au pouvoir un nouveau conseil qui avait marqué son opposition aux dépenses somptuaires consacrées au lycée. La liste dirigée par Charles-Olivier Hucher, candidat républicain, proposa de transformer le projet en caserne. Début juin, le nouveau maire adressait au Ministre une lettre en ce sens arguant de la dépense excessive occasionnée par une telle construction. La réponse ne se fit pas attendre. Dans une lettre du 2 juillet 1896, le nouveau ministre Alfred Rambaud répondit promptement au préfet : « revenir aujourd’hui sur une mesure qui a été considérée naguère comme intéressant au plus haut degré la prospérité de l’enseignement secondaire de Beauvais et déclarer que le collège suffit à tous les besoins après qu’il a été pendant des années répété et proclamé qu’il était impuissant à satisfaire aux exigences des études et de l’internat serait courir le risque de détourner de nous la clientèle des familles… »

La pose de la première pierre
1896, les travaux de terrassement commencent ; le comblement d’un bras du Thérain, grâce à la terre transportée dans les tombereaux et la démolition de la porte de Bresles deviennent un spectacle dominical pour les beauvaisiens. Le 29 mars 1896, la première pierre fut posée par Emile Combes, ministre de l’Instruction Publique et des Cultes. La scène est relatée dans le Moniteur de l’Oise : « 9 h 25 : le train ministériel est signalé. Le canon tonne, la musique du 51ème, massée sur le quai, joue la Marseillaise. De son coupé-salon descend M. Combes… » « Le préfet Grimanelli était allé au-devant de Combes, à Beaumont… Combes, petit, alerte, les yeux vifs. Gréard, vice-recteur : grand, droit, favoris argentés. Ronjon, directeur des Beaux-Arts, binocle, l’air ennuyé. Rabier, directeur de l’Enseignement secondaire. Le Docteur Lesage, rayonnant. Cuvinot, sénateur, l’air souffrant.» « Puis, on monte en voiture pour se rendre à la Préfecture. Le cortège comprend 22 landaus, coupés en omnibus… précédés et suivis de pelotons de gendarmes à cheval en grande tenue, superbes avec leurs culottes blanches, leurs retroussis rouges : tout cela malheureusement terni par l’eau et le brouillard.» Un banquet de cent couverts fut offert par la Municipalité. On y relève une gigue de renne à la moscovite et une glace Cronstadt, témoins de la russophilie ambiante des années 1896-1897. Les agapes terminées, le cortège se rend au Mont-Capron : « Il fait un temps affreux ; on doit ouvrir les parapluies pour arriver à l’estrade officielle assez rudimentaire… où l’on ne parvient qu’en pataugeant de façon effroyable. L’eau traverse de temps en temps la bâche qui sert de toiture et quelques-uns des invités sont désagréablement aspergés… » Ces conditions peu propices n’abrégèrent pas le discours du maire, du docteur Lesage, ni celui du Ministre aux accents étonnamment contemporains, qui conclut en justifiant la réforme de l’enseignement secondaire : « L’enseignement secondaire, Messieurs, a subi depuis trente ans de profondes modifications : sa clientèle s’est étendue, par suite ses plans d’études ont dû s’élargir ; il lui a fallu s’adapter à des conditions sociales qu’il ne pouvait négliger sans manquer son but… L’Université se devait de sauvegarder l’étude des lettres antiques… et introduire dans l’enseignement les études nouvelles que les besoins de notre temps rendent indispensables… La difficulté était de faire à chaque chose sa place, sans surcharger les programmes, sans écraser les jeunes intelligences sous la multiplicité des matières… ». Puis vint la consécration officielle : « M. Combes, puis M. Garbet, puis M. Garmanelli prenant en main la truelle et le marteau nickelé à manche d’ébène mettent quelques truellées de ciment dans les interstices de la pierre… frappent quelques coups de marteau… ». La construction du lycée dura deux ans. Elle fut émaillée d’incidents pittoresques. Maurice Baumont se souvint qu’en 1897, alors élève au collège des garçons, posté dans le grenier, des braises et des flammes puissantes s’échappèrent une nuit de la toiture en construction. En novembre 1897, l’opinion publique s’émeut de la lenteur des travaux. Hucher, le nouveau maire, incrimine et modifie les plans adoptés, notamment l’esplanade et les perrons d’entrée qui débordent beaucoup trop sur le boulevard de l’Assaut. Les portes et les fenêtres préparées à l’avance dans un atelier de menuiserie parisien furent de mauvaises dimensions. L’architecte fut la cible des critiques du maire, de l’entrepreneur et ses émoluments fondirent en conséquence. La première rentrée eut lieu, cependant, comme prévu, en octobre 1898. Le lycée accueillit 267 élèves dont 128 internes.

Quel nom pour ce lycée de garçons ?
Par une lettre en date du 19 mai 1898, Félix Faure avait refusé que l’on appelât ce lycée par son nom. Alors, on évoqua Racine, le dramaturge ayant séjourné au Collège de Beauvais de 1651-1652 jusqu’en 1655, date à laquelle il partit pour Port-Royal des Champs. On suggéra le nom du Président Sadi Carnot, mort dans un attentat perpétré par un anarchiste le 25 juin 1894. Au conseil municipal, les discussions s’animaient pour trouver un nom à cet établissement. Lors de la séance du 10 juin 1898, le nom d’un ancien maire de Beauvais, Nully d’Hécourt fut ardemment défendu et adopté mais, le 16 février 1899, le débat fut tranché : le Président Félix Faure mourait à 58 ans. Il avait été élève pendant deux ans au collège de Beauvais et Président d’honneur de l’Association des anciens élèves du Collège. Le 24 février 1899, le conseil municipal proposa, à l’unanimité, le nom du défunt président. Émile Loubet, son successeur, signa le décret le 21 juillet 1899 : le lycée des garçons de Beauvais devint lycée Félix-Faure.

L’épreuve de la première guerre
Pendant la guerre de 1914-1918, le lycée Félix-Faure, proche du front, fut réquisitionné comme hôpital militaire, une grande croix rouge tracée sur les toits. D’août 1914 à novembre 1917, l’hôpital Félix-Faure accueillit environ 40000 blessés, soignés par les médecins militaires et les Dames Infirmières de la ville, ce qui nécessita jusqu’à 700 lits.
De ce fait, les classes avaient été transférées à l’École Nationale Professionnelle (l’ENP), dans l’ancien couvent des Ursulines et à l’École Primaire Supérieure. Une partie des bâtiments scolaires fut récupérée en octobre 1917 ; 200 élèves étaient présents dont une soixantaine d’internes.
L’hôpital militaire nourrissait agents et élèves. Le 21 mars 1918, une offensive allemande rapprocha la ligne de front qui se situait alors à 40 Km de Beauvais. « Dès la journée du 25, d’innombrables blessés affluèrent au lycée qui reprit sa physionomie des plus mauvais jours et se remplit partout d’un mouvement et d’une agitation inexprimables ; on eut vite fait de déménager nos salles de leur mobilier scolaire pour y installer lits, matelas et brancards ; des tentes et des abris supplémentaires furent dressés dans les cours et galeries ; les autos se succédaient, jour et nuit, en longues files ininterrompues, sur le perron du lycée, tout le personnel sanitaire d’Amiens et des villes du front, médecins, chirurgiens, pharmaciens, infirmiers, infirmières, blessés et malades envahirent, en deux jours, dans une descente précipitée et désordonnée, avec un matériel énorme, tous les locaux du lycée ». A nouveau, en avril 1918, les locaux scolaires étaient entièrement réquisitionnés pour le service de santé. L’afflux des réfugiés, le passage des troupes, la présence du haut commandement (c’est le 3 avril que Foch avait été déclaré généralissime) rendirent difficile la réorganisation des enseignements.
Des locaux de fortune furent trouvés : la bibliothèque de l’Hôtel de ville, trois pièces à la Manufacture nationale de tapisseries, deux salles au Musée départemental, un grenier d’élèves, quelques domiciles de professeurs et les cours reprirent. « Notre année scolaire semblait terminée. Pas tout à fait cependant, grâce à M. Charles Fauqueux, père de Michel, et à notre censeur M. Chateigneau. Le premier, professeur à l’École Primaire Supérieure, nous réunissait chez lui pour nous donner des cours d’algèbre ; le second, des leçons de français que nous partagions avec le hiératique sac à puces ». La vie scolaire était perturbée. Outre la dissémination de l’externat dans la ville, il n’y avait plus de compositions, plus d’études, plus de bibliothèques, plus de laboratoires… Dès le 18 et 19 avril, commencèrent les premiers bombardements nocturnes. La proximité des réservoirs d’eau du Mont-Capron exposait particulièrement le lycée. Les 28 et 30 mai, deux bombes atteignirent l’établissement : « l’une dans la cour des petits, qui ne fit heureusement que d’assez graves dégâts matériels, brisa toutes les vitres, effrita les piliers, et décapita sans vergogne le buste même de la République, à l’intérieur du parloir, l’autre sur la grille même de la façade, qu’elle écorna… » Les effectifs, qui avoisinaient 80 élèves, étaient retombés à une trentaine au mois de mai. Les élèves assistaient aux cours « à leurs risques et périls… munis d’une autorisation de [leur] famille ». Les abris insuffisants dans Beauvais étaient éloignés du lycée : les caves du Musée, du Saint-Esprit, de la Manufacture nationale…

Le 29 mai 1918, l’Assemblée des professeurs déposait une motion demandant l’arrêt des cours et « l’autorisation de repliement pour une région plus habitable », « considérant que… le passage incessant d’automobiles militaires, de troupes et de munitions ne permettent d’espérer aucune trêve quant à ces bombardements [qui] sont pour tous une cause de fatigue et de dépression par suite de la surexcitation nerveuse et de l’insomnie (70 bombes viennent de tomber cette nuit)… ». La difficile lisibilité du texte et les phrases à peine compréhensibles ne laissent pas douter de la sincérité de ces lignes. Si la distribution des prix fut supprimée cette année-là, les élèves se présentèrent néanmoins à l’épreuve du baccalauréat en première comme en terminale.
En dépit des difficultés quotidiennes, élèves et professeurs participaient à l’effort de guerre par le biais d’œuvres de bienfaisance. En plus des organisations officielles comme les Orphelins de la guerre fondée en août 1914, les œuvres des Pupilles de l’Oise, le lycée prit part à des initiatives locales, comme celle « des vêtements chauds pour les soldats du front » ou celle « des éclopés de la caserne Watrin ». Depuis octobre 1914, il existait même l’œuvre du « dessert des blessés de l’hôpital du lycée », dirigée par Madame François, l’épouse du proviseur, financée en partie par des sommes prélevées sur les traitements mensuels des professeurs. Pour prévenir la pénurie alimentaire, conformément aux instructions ministérielles, les terrains possédés par le lycée furent transformés en exploitations maraîchères. Sous la conduite des professeurs experts en jardinage, des équipes agricoles furent formées. A partir de la classe de cinquième, les élèves iraient travailler la terre par groupes de dix, le jeudi matin et soir, le mercredi et le samedi de 16 heures à 19 heures. Ils y plantèrent des pommes de terre et des haricots vendus au cours du marché, dont le produit fut, en partie, affecté aux emprunts de la Défense Nationale. Non seulement les professeurs étaient vivement incités à souscrire personnellement à ces emprunts, mais ils devaient aussi trouver les moyens de convaincre leurs élèves d’en faire autant. C’est ainsi que le Proviseur acheta deux titres de rente dont les aréages furent consacrés à la dotation de deux prix dont le Prix de la Défense Nationale. Les professeurs furent aussi chargés de persuader les élèves et leur famille d’apporter « l’or qui se cache encore… même après 32 mois de guerre», et que des citoyens « cuirassés d’égoïsme » auraient thésaurisé, résistant aux appels pressants de l’État.
Le livre d’or du lycée révèle un lourd tribut payé à la guerre.

La fin des hostilités, la signature de l’armistice ne laissaient pas présager qu’un scénario tout aussi dramatique se déroulerait vingt ans plus tard.

Les affres de la seconde guerre mondiale
Dès octobre 1939, le lycée Félix-Faure fut réquisitionné par le service de santé militaire comme le lycée Jeanne Hachette ou l’école Normale d’institutrices, et quelques autres établissements conférant à Beauvais le rôle d’une ville sanitaire Il fallut tout déménager, bibliothèques de classes, collections d’histoire, de sciences naturelles, tout, jusqu’au laboratoire de physique et de chimie. C’est un premier déménagement ; il y en aura d’autres mais celui-ci est particulièrement hâtif et maladroit… Ainsi, pour la première fois, mais non la dernière, professeurs et élèves se trouvaient sans locaux scolaires. Où irait-on ? La première étape de l’exode du lycée fut l’hospice municipal, rue de Gesvre, où les classes mixtes furent regroupées avec celles du lycée Jeanne-Hachette. Environ 400 élèves fréquentaient l’établissement, une demi-pension avait été mise en place. La mobilisation d’un grand nombre de professeurs, dont celle de Monsieur Pinon, le Proviseur, perturbait l’organisation des cours. La direction était assurée par Mademoiselle Petit, directrice du lycée Jeanne-Hachette. Mai 40, Beauvais vit passer les flux de réfugiés fuyant la Belgique et les départements du nord de la France. Le 20 mai, l’ordre d’évacuation totale de la ville fut donné. Le centre de ralliement était Nogent-le-Rotrou. Nombre de professeurs s’y rendirent et, à peine arrivés, reçurent l’ordre de rentrer immédiatement. Au retour, il fallait songer à préparer le baccalauréat ! Les services de santé avaient alors abandonné le lycée, élèves et professeurs réintégrèrent les locaux. Au début du mois de juin, les bombardements s’intensifièrent, l’aviation allemande pilonna Beauvais.
Le 4 juin 1940, les bombes atteignirent le bâtiment central Est et le préau des classes primaires. Pas de victime chez les élèves qui avaient pu gagner les abris, seulement des dégâts matériels mais : « l’Économe eut grand peine à sauver ses archives et ses registres en les enterrant dans le jardin du lycée Jeanne Hachette, tandis que M. Ficheux récupérait non sans mal dans les décombres et les plâtras du bureau de la directrice les notes et les livrets des candidats au baccalauréat… ». Suite aux bombardements des 8 et 9 juin, des incendies ravagèrent la vieille ville mais le lycée Félix-Faure ne fut pas touché.
Pour la deuxième fois, élèves et professeurs furent expulsés car les locaux furent occupés ponctuellement par la Feldkommandantur. Cependant, l’Administration, représentée par le proviseur démobilisé, réussira à garder deux pièces dans le lycée, mais les cours se dérouleront à l’Institut Agricole, dans l’usine Laîné à Saint-Just des Marais. Les deux lycées sont à nouveau séparés. La rentrée 1940-1941, pourtant bien compromise, eut lieu le 4 octobre : « A la veille même de la rentrée, on nous signifiait d’un ton catégorique l’interdiction d’ouvrir le lycée. Nous avons passé outre et le 7 octobre, avec quatre jours de retard seulement sur l’horaire officiel, nous étions en mesure d’assurer la rentrée des classes d’examen ».

Les conditions de travail n’étaient pas idéales. A l’Institut Agricole, les locaux devaient être partagés avec l’occupant et la cohabitation posait des problèmes : « nous nous heurtions sans cesse, nous vivions au milieu des cris, des bruits et des odeurs de caserne mal tenue… nous n’étions que tolérés… ils nous le firent bien voir à plusieurs reprises, au cours d’une incessante guérilla : un jour, on nous enleva brusquement une salle, avec tables et chaises, un autre jour, tout un étage, un autre jour encore les ampoules électriques… » Les pièces n’étaient pas chauffées et les vitres remplacées par du papier huilé. En novembre 1940, des baraquements avaient été commandés au Ministère de la production industrielle. Ironie du sort, l’emplacement choisi fut l’esplanade de Verdun, juste en face du lycée Félix-Faure, transformé en foyer pour les aviateurs allemands. Le slogan nazi « Ein Volk, Ein Reich, Ein Führer » affublait le fronton du lycée juste au-dessous du nom « Félix Faure ». Un portrait du Führer avait même été suspendu dans le péristyle. A la rentrée d’octobre 1941, trois classes furent domiciliées dans les baraquements, mais l’Institut Agricole, « la pouillerie boche », accueillait les autres. C’est à partir de janvier 1942, troisième étape, que l’ensemble du lycée fonctionna dans ces quatre baraques. Du charbon, et de l’eau permirent une installation moins précaire. Les bibliothèques de classe purent être reconstituées, ainsi que les collections de cartes de géographie et le matériel scientifique. « Ainsi, notre maison a le triste privilège d’être sans doute le seul lycée de France qui ait dû se contenter de baraques foraines alignées sur une place publique » s’exclama le Proviseur à la cérémonie de distribution des prix. Quant à l’Inspecteur d’Académie, Monsieur Babin, au péril de sa liberté, il qualifia l’installation de « parallèles de départ » d’où il fallait « reprendre d’assaut » Félix-Faure ! L’année scolaire 1942-1943 fut marquée par deux changements notables : par décision ministérielle n° 14974 du 17 septembre 1942, les deux lycées fusionnèrent. La directrice prenant sa retraite, c’est l’Administration de Félix-Faure qui géra les deux établissements. Puis au cours de l’année 43, ce fut le départ du Proviseur : « En face des difficultés suscitées par les Allemands et leurs valets, il montra un courage et une fermeté qui ne se démentirent jamais, n’hésitant pas à prendre des initiatives en dépit des brimades et des interdictions, créant à la lettre un lycée là où il n’y avait plus rien. Bref, il sut toujours rester un proviseur français ».
Fin août 1943, une escadrille de la Luftwaffe vint s’installer sur le terrain d’aviation de Beauvais-Tillé. Les bombardements aériens allaient se succéder. Les bombes n’atteignant pas leur objectif tombaient en revanche sur la partie nord de la ville. Neufs raids aériens eurent lieu et le 24 septembre 1943, les baraquements furent pulvérisés et le lycée fortement endommagé : deux bombes ébranlèrent la façade et le bâtiment central ouest, deux autres éventrèrent le bâtiment central nord, et la cinquième anéantit les cuisines.
Une nouvelle fois, professeurs et élèves étaient jetés à la rue (l’effectif atteignait alors 216 élèves)

La quatrième étape fut donc l’École Pellerin jusqu’à la Libération. La proximité des abris semblait garantir un peu plus de sécurité, mais l’exiguïté des locaux, six salles pour les deux lycées, associée aux alertes continuelles, rendit l’organisation des cours très difficile pendant cette dernière année. La rentrée 44 ne put s’effectuer dans les locaux du lycée. Aussi, furent proposés les bâtiments du lycée Jeanne-Hachette et ceux de l’ancienne école normale rue Bossuet en attendant de réintégrer les locaux du boulevard de l’Assaut.
Les traces de la Révolution Nationale ne sont visibles qu’à travers la correspondance administrative du lycée. Il ne subsiste qu’une partie des circulaires et documents officiels émanant des autorités. Outre la propagande mensuelle des internes en mai 1942 assurée par la diffusion des discours du Chef de l’État Français, la vente de médailles, l’apposition du portrait du Maréchal dans les salles de classe ou l’autorisation du port d’insigne comme la francisque, on perçoit la volonté d’encadrement des élèves avec l’instauration de maîtres volontaires d’éducation générale ou la participation à des œuvres maréchalistes. L’épuration administrative a touché également la communauté scolaire. Quatre professeurs ont été révoqués ou relevés de leurs fonctions, en application des lois anti-juives de Vichy ou en raison de leur appartenance à la franc-maçonnerie.
Il n’existe pas de recensement exhaustif des victimes et des disparus. Un appel de l’Oise libérée, du 13 juin 1945, entreprise à l’initiative du Proviseur, a engagé les familles à se manifester. Cette correspondance subsiste dans les archives du lycée. Elle précise parfois les parcours de captivité, les circonstances de la mort, interroge souvent un parcours professionnel. Les plaques commémoratives situées dans le péristyle permettent également de connaître le nom de ceux qui ont perdu leur vie. Parmi les professeurs tués, on compte Louis Marcel Bouet, professeur de mathématiques, mort le 17 juin 1940 lors du bombardement de la gare de Rennes, Jean Bourgognon, tué sur le front de la Somme en 1940, « sur sa pièce ». D’autres sont faits prisonniers : André Coffinier, professeur d’éducation physique, blessé et amputé d’un bras pendant la bataille du canal de la Marne au Rhin. Jacques Dancer, prisonnier de l’Oflag II, Robert Bouvier, professeur de lettres, prisonnier à l’Oflag I, à l’Oflag II B puis à Lübeck, M. Culine professeur d’anglais, Jean Schiltz, professeur de physique. Sept agents du lycée sur 17 ont connu la captivité : Eugène Lamaud, Marcel Fructidor, Albert Roze, Roger Firmin, Raymond Bézot, Daniel Bobronel, Hanère Vanove. D’autres se sont illustrés dans les Forces Françaises Libres : Hugues Pierson, élève de mathématiques en 1939 ; il se rendit à Londres pour préparer l’École navale. Abel Thomas, échappant à la Gestapo, se rendit en Afrique du nord en 1943 (son frère Pierre, dénoncé, fut arrêté par la Gestapo puis déporté). En revanche, Max André, pilote de chasse, qui avait rallié de Gaulle à Londres, trouva la mort le 25 février 1944. Louis du Sablet, du 3e régiment parachutiste, qui avait quitté le lycée en 1938, fut tué au cours d’une mission en Hollande le 8 avril 1945. Robert de Beauvais, soldat au centre d’organisation automobile d’artillerie de Nemours, fut tué le 2 septembre 1941.

D’autres victimes sont à déplorer, comme le docteur Joseph Hébert et son fils, tués lors de la prise d’otages de Troissereux. Dans les rangs de la résistance, on peut citer les frères Pelletier, Michel et François. Michel procurait des voitures, des uniformes allemands. Arrêté en 1943, il fut incarcéré à la prison de Fresnes puis fusillé au Mont-Valérien, le 15 mars 1944.
Quelques jours auparavant, son frère François, en reconnaissance sur la côte de Nice à Toulon, pour préparer le débarquement allié, victime d’un agent double, tombait entre les mains de la Gestapo. Dans les rangs des FFI, on trouve Jacques Boulanger, tué à Haudivillers lors de la Libération, Jean Mauguet, grièvement blessé le 19 août lors de la Libération de Paris. D’autres furent déportés : les 8 et 9 juillet 1943, deux anciennes élèves du lycée Jeanne-Hachette, Madame Marcelle Geudelin et Mademoiselle Marie-Louise Legoix, ainsi que deux anciens élèves du lycée, Henri Cozette et Jean Rebour du réseau CND Castile furent arrêtés. Madame Geudelin, sous-lieutenant des Forces Françaises Combattantes, mourut en déportation le 15 mai 1945 au camp de Bergen-Belsen . Henri Cozette fut employé au terrassement, puis dans une usine au camp de Buchenwald. Jean Rbour, en janvier 44, fut envoyé à Dora, au montage des V1 et des V2. Maurice Le Granché, lieutenant au 174e régiment d’Infanterie, fut envoyé au camp de Dauth-Mergen dans le Würtemberg, où il mourut le 21 mars 1945. Pierre Melgrani, devenu inspecteur de Police à Angers, fut arrêté par la Gestapo en 1943 et déporté. Le 4 janvier 1944, au cours d’une rafle dans Beauvais, furent arrêtés Gaston Cahen, professeur d’histoire au lycée jusqu’en 1934, et sa femme Marguerite. Après un passage au camp de Royallieu, près de Compiègne, ils furent envoyés à Auschwitz. Pierre Pir, élève de 1ère, fut arrêté en avril 1944, pour action anti collaboratrice et envoyé à l’usine d’armement de Brunswick. Certains enseignants se sont engagés dans la résistance : Garbarini, professeur de sciences naturelles qui participa à des transports d’armes, à l’hébergement de parachutistes, au sabotage de lignes téléphoniques avec l’un de ses élève Paul Moquet, Gaston Hocquart, professeur de philosophie, Monsieur Guimier, professeur d’éducation physique et sportive, M. Asselineau, professeur d’anglais. Chez les élèves, on relève les noms de Marcel Froissart, Maurice Thiéry, qui prirent le maquis où ils s’occupèrent de radio, Jacques Dupret dans l’organisation du mouvement de Libération-nord, Maurice Jauneau pour l’organisation du Front National, Robert Séné de l’OCM, au bureau des opérations aériennes, Colette Langlois, Bernard Follet, élève de philo-sciences qui fut agent de liaison entre la résistance française et les officiers britanniques parachutés dans l’Oise. Mais ce n’est là qu’un aperçu de la participation des personnels et des élèves dans la seconde guerre, et en aucun cas une approche exhaustive.

La reconstruction
Commencés en juillet 1947 et achevés en octobre 1952, les travaux de « reconstitution » selon le terme de l’époque, ont duré un peu plus de cinq ans sous la direction d’Auguste Danguillecourt. Ce dernier réunit de nouveaux plans le 15 novembre 1946 mais le début des travaux se fit attendre. Pénurie de matériaux, pénurie de main-d’œuvre, mais surtout d’âpres négociations à trois pour le financement de l’opération. Entrepris à l’identique, pour un montant total de 268 millions de francs, le financement a été discuté entre le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, le Ministère de l’Éducation Nationale et la ville de Beauvais qui, à cette occasion, voulait en transférer totalement la propriété à l’État. Le chantier a été endeuillé par un accident survenu le 18 mars 1948. Lors du déblaiement, un obus éclata. Il fit une victime, M. Antunes et un blessé, M. Lanzano de Thomas. Au fur et à mesure de l’avancement des travaux, les locaux étaient occupés : d’abord les classes primaires, les terminales puis l’internat de garçons et les classes de première, de seconde et de troisième. En octobre 1951, la structure fonctionnait normalement. Pour cette renaissance, Félix-Faure faillit être rebaptisé. Le 24 juillet 1947, à la suite d’un vœu du Conseil Général de l’Oise, le nom du lycée fit l’objet d’une nouvelle discussion où Jean-Jacques Rousseau fut préféré à Ferdinand Buisson. Mais l’administration universitaire refusa ce changement d’identité et Félix-Faure resta lui-même.

Deux inaugurations pour un lycée
Insolite fut la visite de Barry Bingham, chef de l’ECA  en France, le 28 mars 1950. Accompagné des responsables du SGCI, il vint inaugurer ce lycée en cours d’achèvement. Une plaque de marbre blanc dévoilée ce jour, dans une mise en scène savamment étudiée, témoigne de la participation financière américaine à la reconstruction du lycée dans le cadre du plan Marshall. La présence de journalistes américains, anglais, italiens, de photographes, de la radio, assura à l’évènement un retentissement international. L’Oise Libérée du samedi 1er avril s’en fit l’écho ainsi que la radio et la télévision nationale. Cette inauguration faisait partie du programme français de propagande en faveur du plan Marshall, esquissé à la fin de 1949. Une dizaine de voyages officiels fut donc programmée dont une visite au lycée Coutances côtoyant l’inauguration de centrales électriques ou des minutes d’actualité du cinéma. Les travaux n’étant pas achevés, les élèves n’avaient pas tous réintégré les locaux. Aussi, lorsque la reconstruction fut complètement achevée, un autre événement vint accorder au lycée toute la place qu’il méritait. Il fut décidé que, le lundi 24 novembre 1952, un congé exceptionnel serait accordé aux élèves. L’album de photographies et le livre d’or en témoignent : le lycée Félix-Faure fut officiellement inauguré par André Marie, le Ministre de l’Éducation Nationale. La cérémonie est à la Une des journaux locaux. L’Oise libérée du 26 novembre relate l’épopée en première page avec force photographique : « Des lycées de France, le lycée Félix-Faure fut le premier grand blessé de la guerre » a dit le Ministre de l’Éducation Nationale,  « Il était équitable qu’il fut le premier à se relever de ses ruines ». Le lycée connaissant une nouvelle fois l’honneur de la visite d’un homme d’État, la cérémonie fit l’objet d’une préparation soignée où tous les déplacements furent consignés et minutés. On imagine sans peine le cortège de tous les représentants de l’État, des notabilités accompagnant « le Ministre de l’Éducation Nationale montant le grand escalier du lycée entre deux haies formées par les élèves, choisis parmi les grands ». Puis dans une parade quasi militaire, le ministre passa en revue tous les élèves disposés en carré dans la cour centrale. Ensuite, la visite des locaux d’une vingtaine de minutes, dirigée par le Proviseur, monsieur Laménardie, permit d’admirer les nouvelles installations dont un gymnase prestigieux. Enfin, dernière étape d’un retour à la normale, le 15 mai 1952, les bureaux de l’Administration furent réouverts et, le 15 juillet, le Proviseur put emménager dans ses appartements au lycée Felix-Faure. De 1940 à 1952, le lycée avait connu douze années de perturbations et le buste en marbre de Félix Faure, attribué en janvier 1953 au lycée, placé solennellement sur la cheminée du parloir, venait consacrer son relèvement.

        Cet aperçu rapide de la vie du lycée à trois moments dramatiques de son histoire permet, peut-être, de prendre conscience de la part que prit l’établissement dans la vie locale et nationale. A travers la lecture d’une littérature austère (procès-verbaux des assemblées générales des professeurs, des conseils d’administration, des conseils de discipline, des correspondances avec les autorités de tutelle), malgré les événements extraordinaires vécus par la communauté scolaire et le fourmillement des anecdotes, l’on est impressionné par la pérennité d’une institution qui repose sur la volonté d’une poignée d’hommes et de femmes (très peu à l’époque) de transmettre un savoir, des valeurs, une manière d’être dans l’adversité, quelles que soient les difficultés qui les accablent. Ce regard en arrière ne cultive pas le goût de la nostalgie pour des époques révolues ; puisse-t-il montrer à nos élèves que la citoyenneté et la détermination jalonnent le chemin de la réussite.

Fiche Félix FAURE

Les commentaires sont fermés.